Émission spéciale 19ème Sommet de la Francophonie – La Grande Librairie
09 octobre 2024
Le 19ème Sommet de la Francophonie a été l’occasion de discuter du rôle et de l’évolution de la langue française à travers le monde. Des écrivains et intellectuels, tels que Barbara Cassin, Alain Mabanckou, Shumona Sinha, Atiq Rahimi et Lisette Lombé, ont partagé leur vision de la langue française comme langue vivante, métisse et porteuse de liberté.
La langue française et son expansion. Le français, parlé par environ 300 millions de personnes, pourrait atteindre 500 millions de locuteurs d’ici 2025. L’ordonnance de Villers-Cotterêts, signée en 1539, est un moment fondateur pour la langue française, officialisant son usage dans les actes juridiques et administratifs. Cette ordonnance, avec ses 192 articles, visait à unifier le royaume autour d’une langue unique, au détriment des langues régionales. Dès le XVIe siècle, la dimension politique de la langue s’est affirmée puisque imposer une langue, c’est aussi étendre son pouvoir, un enjeu qui résonne dans le contexte de la colonisation. Ainsi, la langue française a voyagé à travers le monde, souvent par la force, mais elle a également été réappropriée.
La francophonie : un espace de contradictions. Le terme « francophonie » a initialement été conçu pour renforcer l’influence de la France. Cependant, des figures comme Léopold Sédar Senghor ont transformé ce concept en un idéal de fraternité, d’union des peuples autour de la langue française. La francophonie devient un espace d’échange, où des cultures et des civilisations diverses se rencontrent. Gilles Vigneault la décrit comme un « vaste pays, sans frontières, un lieu spirituel et mental ». Toutefois, des tensions subsistent. La littérature française est souvent dissociée de la littérature francophone, une division qui traduit frustration et manque de curiosité. Il devient donc urgent de déhiérarchiser ces littératures, de les inviter à se croiser pour mieux refléter la diversité et la richesse du français.
Une langue métissée et en constante évolution. L’exportation de la langue française dans plusieurs pays a conduit à son enrichissement. Comme l’illustre Alain Mabanckou, la fusion entre le français et d’autres langues, comme le lingala au Congo, fait émerger des formes littéraires nouvelles et inventives. Chaque accent, chaque variation de la langue est une marque de créativité et de réappropriation, en dépit de la stigmatisation persistante.
Contrairement aux idées reçues, le français n’est pas menacé mais en perpétuelle transformation. Bien qu’elle soit normée, l’Académie française veille à son évolution. La performance d’artistes comme Aya Nakamura aux Jeux Olympiques montrent ainsi un visage moderne et métissé du français.
Le français, une langue de liberté et de refuge. La langue française joue un rôle crucial pour ceux qui, fuyant des situations de guerre, d’oppression ou d’exil, cherchent un nouveau départ. Comme le montre le témoignage des enfants de la classe allophone du Bouguenais, pour les réfugiés arrivant en France, apprendre le français représente bien plus qu’une simple acquisition linguistique : c’est une porte vers une liberté de pensée et une intégration dans un espace de paix et de partage. La langue devient alors un refuge, un moyen de reconstruire leur identité et de s’ancrer dans une nouvelle réalité. Cet aspect de la langue française en tant que refuge n’est pas nouveau. Il s’inscrit dans une longue tradition où le français a été un outil de résistance, comme en Haïti, première république noire indépendante, où la poésie a servi de levier contre l’oppression coloniale. Les poètes haïtiens ont utilisé le pouvoir des mots pour réclamer leur liberté et réinventer une réalité propre, montrant ainsi que la langue peut être une arme aussi puissante que des actions politiques ou militaires.
La menace de l’hégémonie de l’anglais Face à la domination croissante de l’anglais, en particulier dans le domaine numérique, le français doit résister et continuer à incarner une langue de partage et de savoir. C’est dans cette optique que s’inscrit l’initiative de l’Organisation Mondiale pour l’Éducation Préscolaire (OMEP), qui a mis en place une commission francophone. Cette initiative vise à renforcer la coopération entre les pays francophones, favorisant ainsi l’entraide et le développement d’une littérature francophone diversifiée. En encourageant le dialogue entre différentes cultures, cette commission permet de croiser les perspectives sur la petite enfance, tout en consolidant les liens linguistiques et culturels au sein de la francophonie.
« La langue française est métisse, changeante, nouvelle. Elle doit être la langue de la liberté, renoncer à son or et à son droit du sang. Elle doit être la terre d’asile de tous ceux que l’aliénation de l’ère industrielle menace, que l’intolérable tyrannie du passé condamne. Elle doit être leur mémoire, leur avenir. »
— J.M.G. Le Clézio
Anouk Pernot